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Art
Press février 2006, n°320
Il
faut considérer avec la plus grande attention, au sens fort
du terme, les vidéos d’Armelle Aulestia.
Circle Dream met le regard en état de tension. Entre
les blancs de début et de fin, d’où l’image
émerge et où elle replonge, comme un rêve, une
seule ligne est tirée, un parcours sur autoroute accompagné
d’une musique stridente. Le montage, sans narration, intercale
des images récurrentes qu’on n’est cependant jamais
sûr d’identifier, non seulement à cause de la monotonie
du parcours, mais parce que le film, solarisé, gomme toute
différence pittoresque. Scruter sans discerner avive l’exaspération.
C’est de son propre regard qu’on sent ainsi la nervosité,
plus qu’on ne parvient à se saisir de la réalité
de ce qu’on voit.
Piéger le voyeur caractérise Cache-cache Girls,
où, dans un intervalle infime entre deux plans de couleur flashy,
surgit le visage d’une jeune femme. Excessivement photogénique,
celle-ci est aussitôt happée par la couleur.
Le regard indiscret est fortement inscrit au sein de Peep in Switzerland.
S’élevant précautionneusement au-dessus d’un
mur, puis parvenant à une trouée, il ne se fixe pourtant
jamais, sans cesse animé d’une légère vibration
circulaire d’insecte. Entre les feuillages, d’ailleurs,
il y a peu à voir. De légers craquements continus témoignent
plus de l’activité du regard, qui seul serait réel
et vivant, que d’un spectacle qui, toujours au-delà,
demeure inexistant.
Il suffit cependant que la caméra se pose pour que la réalité
s’agence et devienne alors image. Ainsi dans Trump Tower,
où tout se met en place autour du point focal de la caméra
plantée dans le hall de la tour : la silhouette massive
du groom, les deux portes à tambour, véritables outils
de théâtre, les allées et venues, la musique de
fond. Tout est réel, et tout semble en même temps s’être
mis à obéir à une représentation.
Morning View s’ouvre sur le ciel qui s’étale
au-dessus de New York. Gelé par la lumière froide, le
spectacle est d’une immobilité extatique. Tout se trouble
quand le soleil darde ses rayons sur la vitre dont les traces et les
mouchetures apparaissent alors. Le reflet de la caméra s’y
dessine, cercle flottant sur le paysage. Trois notes musicales répétitives
placent le temps en attente, au sein duquel alternent le paysage réel
au-delà de la fenêtre, et la vitre, avec la caméra,
à laquelle se suspend le paysage. Finalement, le reflet d’une
main s’approche de l’appareil ; l’écran
s’obscurcit : il suffit, plus d’image.
A. Malherbe
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